Comment aider nos enfants à préserver leurs libertés fondamentales
Caroline est maman de 2 enfants, trader pour compte propre et coach sur la performance mentale des trader. Après nous avoir proposé 4 exercices de gestion du stress pour enfants, Caroline nous parle aujourd’hui des libertés que tout enfant perd en grandissant, des traumatismes que cela peut occasionner… et des pistes à suivre pour les éviter.
Les enfants que nous avons été, et les parents que nous sommes devenus ont perdu en chemin un certain nombre de libertés. C’est nécessaire, l’homme est un « animal social » et sa liberté s’arrête là où commence celle de l’autre. Afin de faire sa place dans le groupe social, l’enfant se plie donc à des impératifs de vie en groupe. Mais perdre des libertés n’a pas pour unique raison l’adaptation au groupe. En effet, si se vêtir, ne pas cogner sur son voisin, ou respecter ses parents sont vécus comme des pertes de liberté plutôt aidantes et structurantes ; d’autres, par contre seront un véritable handicap dans l’épanouissement de l’enfant, et dans son devenir d’adulte. Chacun d’entre nous a perdu dans l’enfance des libertés qui lui manquent dans sa vie d’adulte.
Commençons par voir ensemble l’impact concret de cette perte sur nos vies :
Un peu de théorie : j’ai un besoin que je peux remplir très simplement en adoptant le comportement adéquat, seulement, j’ai perdu la liberté d’avoir ce comportement précis, je développe donc un comportement de substitution qui ne répond que partiellement à mon besoin. Insatisfaite, je mets une énergie folle dans ce comportement décalé. Je pense inconsciemment que si j’en fais plus, je comblerais mon besoin. Mais il n’en est rien, bien au contraire ! Mon hyper investissement me prend une énergie folle, et beaucoup de temps ; je suis frustrée par le sentiment que mon besoin reste insatisfait malgré tous mes efforts.
Pour prendre une image, on pourrait dire que j’ai besoin de faire un Paris/Toulouse en 2 heures et que j’ai perdu la liberté de prendre l’avion. J’aurais beau rouler aussi vite que je peux, je n’y arriverais jamais. Une liberté perdue sur un comportement nécessaire à un besoin revient donc à dire que je n’ai pas les moyens de mon exigence. Quoi que je fasse, jamais mon besoin ne sera pas comblé.
Reste donc 3 possibilités :
– Vivre dans la constante frustration du « jamais assez » (pas très confortable)
– Nier un besoin pas forcément conscient (pas très facile)
– Reconquérir la liberté perdue pour enfin assouvir le besoin avec efficacité (ça, j’aime bien !)
Mais je m’égare, l’objet de cet article n’est pas de vous aider à mieux vivre vos vies d’adultes, mais de vous expliquer le fonctionnement du mécanisme pour ne pas (ou peu) le transmettre aux enfants.
Comment l’enfant perd des libertés indispensables à son épanouissement?
Outre l’injonction plus ou moins forte de l’adulte auquel l’enfant se plie (« fais pas ci, fais pas ça »), il y a une manière bien plus sournoise de perdre des libertés. Un petit enfant est tout puissant dans sa psyché, seul son besoin compte, et la perte de certaines libertés lui est bénéfique et lui permet d’intégrer le groupe social. Mais d’autres peuvent réellement lui manquer pour le restant de ces jours.
L’enfant se positionne par rapport aux autres (famille, enseignants, autres enfants, etc.), et notamment par rapport à leur vision. Si les enfants rentrent parfois de bonne grâce dans le conflit, et peuvent se rebeller consciemment contre les règles ; il y a une peur généralisée chez eux : le ridicule. Un enfant ne supporte pas le ridicule, quel que soit son rapport aux règles, au pouvoir ou à la force ; le ridicule et le sentiment de honte qui l’accompagne sont vécus par l’enfant comme un risque de mort sociale. Le comportement qui l’a rendu ridicule, qui lui a inspiré de la honte peut alors devenir tabou. Sans en avoir conscience, il va mettre en place un mécanisme d’évitement automatique : il ne sera plus confronté à ce comportement, il a perdu la liberté d’agir en cohérence avec un besoin.
Prenons un exemple réel pour rendre les choses plus claires :
Paul a 8 ans, il est ambitieux et très intelligent et il a un fort besoin de reconnaissance. Lorsque la maîtresse lui demande ce qu’il fera lorsqu’il sera grand, il répond sincèrement qu’il changera le monde. Paul n’est pas très populaire dans sa classe de CE2 ; et lorsque la maîtresse lui dit : « Rien que ça, et bien dit donc, il a y avoir du travail ! » Tous les élèves se mettent à rire, le montrent du doigt. La maîtresse remet immédiatement de l’ordre dans sa classe, mais le mal est fait. Paul rentre chez lui, et raconte la scène à sa maman, il est à la fois honteux et en colère. Sa maman, qui pense bien faire (l’enfer est pavé de bonnes intentions), lui explique qu’il ne faut pas dire ce genre de choses ; que c’est mal de se mettre en avant de la sorte. Encore plus honteux, Paul va éviter à l’avenir de montrer son ambition ou de se mettre en avant. Il a perdu cette liberté, mais son besoin de reconnaissance reste intact !
Paul est devenu grand, et il a choisi le métier de trader sur les marchés financiers. Paul est un homme discret, mais il est en route pour gravir des sommets. Sa grande intelligence et son sang- froid font de Paul un trader redoutable, il le sait, mais il a parfois besoin de se prouver à lui-même sa propre valeur, ce qui le pousse à prendre des risques délirants : lorsqu’il gagne dans des conditions extrêmes, il se sent le roi du monde. Le temps passe, les risques deviennent de moins en moins calculés et un jour, c’est le drame, il perd énormément d’argent. Afin de remplir son besoin de reconnaissance, Paul a mis en place un comportement de substitution à sa portée : réaliser des opérations très risquées sur les marchés financiers. Toutefois, le comportement étant décalé par rapport au besoin, il est dans la surenchère, jusqu’à l’accident.
Comment nous, les parents, pouvons-nous aider nos enfants à garder toutes leurs libertés fondamentales ?
Il est une réponse standard à tous les maux d’enfants : le dialogue et l’écoute. Cela peut paraître bateau comme ça, et pourtant, c’est la première étape indispensable : votre enfant doit avoir la certitude qu’il peut vous parler et que vous saurez l’écouter. Les parents ne sont pas les seuls responsables des libertés perdues, parfois (souvent ?), la honte et le ridicule viennent d’une tierce personne ; soyez son allié pour l’aider à dépasser cela, à mettre des mots sur son ressenti, à en expliquer les conséquences. Sans rentrer dans le mélo, vous pouvez expliquer à votre enfant que c’est difficile pour tout le monde de se sentir ridicule, mais que vivre nous expose au ridicule.
Ensuite, vous pouvez tenter d’aller plus loin, afin de comprendre quel besoin a été touché. Si l’on garde l’exemple de Paul, sa maman aurait pût lui demander, au milieu de la discussion ; pourquoi il a ressenti le besoin de dire qu’il changerait le monde ; qu’attendait-il de cette déclaration ; quelle réaction il avait imaginée de la part de la classe.
Enfin, prendre du recul sur cet épisode désagréable (le ridicule ne tue pas) en lui demandant quelle conséquence cet épisode aura sur sa vie.
Quand l’enfant a la chance de verbaliser très rapidement cette blessure, elle guérit généralement d’elle-même. Mais que pouvons-nous faire avec nos enfants quand la « perte » est consommée depuis des mois ou des années ?
Un nouvel exemple :
Karine a 17 ans, lors de vacances en famille, son oncle propose de monter un petit spectacle avec ses cousins, beaucoup plus jeunes. Le groupe d’enfants décide de jouer une adaptation personnelle du « Petit chaperon rouge ». L’oncle écrit le texte, distribue les rôles et entame les répétitions. Karine, qui joue la maman du petit chaperon rouge n’est pas à l’aise dans son rôle : tendue, elle bafouille, refuse de se prêter au jeu. L’oncle lui propose de ne pas participer, mais Karine, qui adore l’idée aimerait tellement être capable de jouer ce rôle ! Elle est déchirée entre la peur de la honte et son envie de participer. Les répétitions continuent, et elle a toujours autant de mal dans son rôle. Sa petite cousine lui propose d’échanger les rôles, si elle le souhaite, Karine jouera la mère-grand. Et dans le rôle de la mère-grand, Karine est très à l’aise ! Le contraste est incroyable : Karine n’a donc pas un problème avec le théâtre, mais avec ce que lui évoque son rôle. La maman de Karine est une femme talentueuse et reconnue pour ses qualités de leader, mais elle n’a jamais été très maternelle avec Karine. En discutant avec son oncle, Karine exprime sa gêne de devoir se montrer tendre avec le petit chaperon rouge. Les mamans qui câlinent leurs enfants sont ridicules, elle ne peut pas faire cela. Elle se souvient du sentiment de honte qu’elle éprouvait lorsqu’elle réclamait un câlin à se maman. Comprenant l’horreur de ses propos, Karine décide de relever le défi et de reprendre le rôle de la maman. Bien que les répétitions soient laborieuses, la famille finit par donner le spectacle et Karine s’en sort très bien. Là où cet exemple devient très intéressant, c’est sur le changement radical d’attitude de Karine envers ses petits cousins. Jusque-là distante, Karine devient très vite tendre et présente avec les petits. L’été suivant, Karine vient voir son oncle et lui raconte que ce petit épisode a changé sa vie. Bien qu’elle ait toujours eu besoin de tendresse, ce comportement était bloqué chez elle, depuis, elle se laisse aller et ses relations avec les autres et avec elle-même sont beaucoup plus sereines.
Sans cela, qui sait si Karine aurait eu la liberté de prendre soin d’un compagnon, d’enfants, d’amis sincères ?
J’ai pris le temps de vous donner cet exemple un peu long pour vous présenter la piste du théâtre dans la réappropriation des libertés perdues. En effet, le jeu permet à l’enfant de se dire que ce n’est pas réellement lui, il se donne donc le droit d’adopter un comportement qu’il n’aurait pas dans la vie réelle et cette confrontation peut parfois débloquer un comportement nécessaire à son équilibre.
Pour l’adulte, c’est bien plus laborieux, malheureusement ; et je ne m’aventurerai pas sur ce terrain, qui est quasiment de l’ordre de la psychothérapie : je n’en ai pas les compétences. C’est donc à nous, parents, oncles, tantes, enseignants, etc.d’aider au plus tôt l’enfant à garder les libertés nécessaires à l’assouvissement de ces besoins.
Attention, écoute, bienveillance ; tout ceci n’est pas toujours évident au milieu de nos professions, de nos amis, de nos ordis, de nos téléphones, etc. Nous ne vivons pas dans une société qui donne à l’individu le temps de vivre et de regarder. Ce temps, il faut le prendre, c’est avant tout un choix. Ce choix est parfois difficile, courageux, altruiste, alors je vous souhaite bon courage !
5 Comments
Véronique Baudoux · 1 septembre 2013 at 7 h 59 min
Merci pour ce magnifique article !
Les exemples ne me semblent pas trop long, au contraire, car ils permettent de bien comprendre comment certains épisodes de l’enfance (et qui paraissent parfois anodins aux yeux des adultes) peuvent avoir des conséquences importantes.
Lorsque j’accompagne des adultes qui font un travail personnel, c’est réellement des histoires de ce genre qui ressortent et qui permettent alors de débusquer les comportements adaptatifs et les besoins profonds.
C’est en effet une grande responsabilité, en tant que parents, d’essayer d’accompagner ces blessures d’enfance inévitables afin qu’elles ne laissent pas de traces trop profondes. La conscience de cette responsabilité est parfois un peu « écrasante » pour les parents… D’autant plus que la culture actuelle a tendance, dès qu’un problème surgit chez l’enfant ou l’adolescent, à chercher l’erreur dans le chef des parents (et surtout de la mère). C’est donc important aussi de ne pas se laisser trop facilement culpabiliser… En se disant que, malgré toute notre bienveillance, nos enfants ont aussi leur propre sensibilité, leurs fragilités spécifiques intrinsèques et leurs propres obstacles à franchir. Que les blessures sont là aussi pour mettre en évidence ces fragilités intrinsèques afin de les dépasser.
Mais ceci est un autre débat et je m’égare un peu 🙂
Merci encore pour ce magnifique blog !
Véronique
Camille et Olivier · 4 septembre 2013 at 22 h 38 min
Et merci pour votre commentaire enrichissant Véronique. Cet article de Caroline est en effet très précieux : il rappel à quel point certains mots, certains comportements « anodins » (pour nous adultes) peuvent avoir une répercutions dévastatrices sur l’avenir de nos enfants !
Angélique Mathieu · 6 février 2017 at 16 h 49 min
L’exemple qui m’a fait le plus d’effet est celui de Paul.
Car c’est tellement dommage de bloquer les ambitions des enfants quand ils parlent de leurs rêves d’avenir!
Au contraire, je suis plus que certaine que si la maîtresse avait encouragé tout de suite le petit Paul en lui disant que son idée d’avenir était vraiment super, et qu’elle lui avait demandé ce qu’il penserait faire pour changer le monde de manière très honnête, Paul aurait déployé toute son imagination pour trouver de très bonnes idées.
Et aurait même entraîné le reste de sa classe avec lui j’en suis sûre. 🙂
Car la maîtresse aurait pu faire contribuer les autres enfants en leur demandant de réfléchir à des moyens tout en s’amusant.
C’est en étant encouragé, qu’on arrive à faire des miracles dans la vie. 🙂
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